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ORBE

André Markowicz & Orsten Groom

Recueil de poèmes d'André Markowicz
accompagnés du cycle ORBE de Orsten Groom

30 pages
-15€ (+5€ envoi postal)



ÉPUISÉ

ORBE 2019 Couverture

J’ai tout de suite pensé à Simon Leibovitz, ou Orsten Groom. À cette fraternité étrange qui nous unit, lui, l’érudit, et moi, dans la recherche de quelque chose que je me garderai de définir, mais qui tient à la fois de cette lumière que Dostoïevski appelait « non-appelante », et, plus encore, de ce qui est comme derrière la lumière, derrière la ligne, derrière le récit, quelque chose comme ce halo de gris qu’on ressent dans un souffle, dans un silence, ou, je ne sais pas, cette espèce de présence dont on ne fait que devenir les contours, ou même pas les deviner d’ailleurs.

Quelque chose qui ne tient ni du souvenir ni de la mémoire, mais qui en est comme une projection d’ombre sur le mur...

Il y a une phrase de Mandelstam qui me revient sans cesse :

« nous n’avons pas de souvenirs, mais que de réminiscences »…

Disons, des traces de présences, des choses qui, d’une façon ou d’une autre, nous reviennent, très différemment, mais tout le temps (…)

J’ai pensé à Simon, j’ai pris cinq textes — des textes que j’appelle « juifs ».

Pas seulement des textes récents. Tous, au fur et à mesure, je les avais déjà publiés ici, mais, quand je les ai mis ensemble, ils ont changé. Le texte le plus ancien, le premier, parle de ça — des morts que nous portons, chacun de nous.

L’orbe du mort

pulse un sang d’ocre

par dessus l’épaule gauche, le

sel safrané teinte les trois

doigts, la terre augurante du

-------------------------dépeuplement,

serres désengagées

et têtes creuses quand la

claudicante, la

---------------brehaigne, l’accompagnatrice,

entrebâillant la porte, lui

------fait signe de la suivre

et il

la suit vers la lumière nulle,

un couloir et un autre,

-------------------un escalier

de bois humide, sans

qu’on entende les marches, mais

---------------------------------------le souffle

accentué toujours sur la première,

il monte, il monte,

à lui autant qu’à elle —

il a rouvert les yeux, il s’est trouvé…. 

L’orbe, c’est l’idée du cercle, bien sûr, du serpent, mais c’est aussi le monde (urbi et orbi), c’est là que ce cycle a pris un titre : non pas « le cycle de l’orbe », mais tout simple, ces cinq lettres — « Orbe ».

Et soudain, là, quand l’évidence s’est faite que c’était juste un mot, sans article, j’ai entendu derrière un autre mot, yiddish, Hurbn, la Catastrophe, qui désigne ce qu’en français, après Lanzmann, on appelle « Shoah ».

Et, de fait, il y avait dans ce cycle deux textes explicitement liés à la Catastrophe, deux textes liés à Pâques : le premier avait été écrit tout de suite après celui dont je viens de citer le début, et il était venu parce que j’avais été très dérangé par des cris d’enfants qui jouaient autour d’une fontaine et qui m’empêchaient de travailler. D’un coup, j’avais senti qu’il y avait des cris d’enfants qu’on n’entendait pas — et que c’étaient ces cris silencieux qui faisaient l’air que nous respirons, ces cris qui nous font respirer notre honte.

Autour de la fontaine, des enfants

------------hurlent, signe qu’ils jouent.

Soleil de pâques. Les

fleurs jaunes du manège tous

les ans. Traduis : quand il a pris

ta pelle et ne veut pas

la rendre, tu,

devant la honte de revendiquer,

sais qu’il a tort

--------et cette connaissance

assigne. Elle entre par

les pores, par

l’image involontaire, le

----détail invérifiable, c’est

elle qui sans

te prendre à la trachée,

----------pousse à ne plus

rien dire à l’autre, à voir

l’autre comme un intrus dans ton

--------------------corps et ton corps

même en sursis de meurtre, — toi,

tu ne monterais pas sur le tonneau,

tu t’assoirais par terre s’ils

-------------te laissaient le

temps (guère). 

J’ai parlé ici, très souvent, je crois, de cette image du tonneau, racontée par Marek Edelman.

Ce vieil homme que les nazis avaient fait monter sur un tonneau…

Ensuite viennent trois textes de juillet 2016. D’abord un texte court, lié à l’image que je me fais de Paul Celan (là encore, j’en ai parlé ici), l’image de la lumière qui jaillit du fond de la pierre, la faisant exploser.

Par quelle

-------------il a dit pierre

ouverte

à la volée

en deux, « le long

du cœur »,

la bistre frondaison des étourneaux,

--------------------------------------------------la stri-

-dulence jaune vrille

---------------et veille, la

pierre devient cailloux

disposés sur

rien, l’air

nu, tant qu’on sent le souffle

------------------- en soi, qu’il fait,

le sang,

battre les tempes, qu’il

------- creuse le ventre pour

garder aveugle.

Parce que, bien évidemment, nous ne pouvons être qu’aveugles devant ce bistre noir des étourneaux.

Et puis, poursuivant le mot de la pierre, du rocher et de la nuit, un texte qui m’était venu pendant la représentation des « Karamazov » à la Carrière Boulbon, en Avignon.

Rochers-nuages, leur

----------------------surplomb

vers les,

par les parois des vrais,

spirales de

lambeaux gris-violacé allant

----------------------au plus compact, —

menace d’un déluge —

entraperçus, « astres épars »

du rituel de ce début de nuit —

Et le dernier revient au 19 avril 1943 (publié le 5 août 2016) :

Comme le ciel de pâques, les

-----------------bougies de ce soir-là,

cuivrées

mais une flamme droite sauf

à laisser les épaules trop

libres, les manches de la redingote

alors sont source de leur flottement —

mais pour l’assiette vide qui

-------------viendra, parmi les mille et mille

anéantis déjà ?

juste une assiette blanche, et leurs

yeux ne sont pas fixés dessus. 

Parce que, et là encore, j’en ai parlé ici, le premier soir de la révolte du ghetto, c’était Pâques,

et il n’y a pas eu un Allemand dans le ghetto — ils s’étaient enfuis, et cette nuit, juste avant la mort,

a été calme et paisible…"

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